Du salaire à l’organisation du travail, les solutions pour attirer
Améliorer la rémunération
Première cause de cette désaffection : la faiblesse des salaires. Un exemple, après de longues négociations, l’Avenant 43 à la convention collective de l’aide à domicile signé en 2021 avait permis de relever sensiblement les salaires… pour atteindre le niveau du Smic. Mais deux ans plus tard, l’effet positif s’est largement dissout dans l’inflation. Un ou une éducatrice spécialisée débute avec 1300 à 1500 euros par mois selon les branches.
Au-delà des niveaux de rémunération, c’est l’inégalité de traitement qui détourne de nombreux candidats. Le premier Ségur avait permis de revaloriser de nombreux métiers du care et du soin mais uniquement dans le secteur public. Ce qui a bien sûr provoqué une vague de départ depuis les associations, vers ces établissements publics. D’autres accords ont atténué ces inégalités, mais les dégâts sont là et certaines inégalités persistent, comme le souligne Céline Mons : « Les éducateurs en ont bénéficié, mais pas ceux qui travaillent dans les espaces de rencontre ou les services de parentalité par exemple (…) cela créé des tensions sociales. Une proposition de loi devait y remédier, mais la dissolution est intervenue et on ne sait pas ce que ça va devenir. »
L’amélioration des rémunérations est un impératif et ce sont les pouvoirs publics qui ont la main sur les cordons de la bourse. C’est donc au niveau des organisations de branche (employeurs et salariés) et de leur capacité de négociation avec l’Etat que le premier levier d’attractivité se joue.
Mais les inégalités peuvent aussi être territoriales. Par exemple, dans l’aide à domicile, la revalorisation salariale validée par l’Etat en 2021, dépendait des Départements qui gèrent les fonds publics de la dépendance et force est de constater que l'application de cette revalorisation a varié selon les territoires.
Changement de regard sur les métiers
Pour négocier, il faut établir le bon rapport de force. Or, que ce soit sur l’enjeu du vieillissement, du handicap, ou de l’aide sociale à l’enfance (pour ne citer que ceux-là) … il manque encore une prise de conscience qui permette d’inscrire à l’agenda politique ces questions au rang de priorité nationale. Pour mémoire, la grande loi sur le « bien vieillir », annoncée durant le premier mandat d’Emmanuel Macron reste, pour l’heure, lettre morte sans que la communauté nationale ne s’en émeuve.
Une telle prise de conscience nationale permettrait aussi, peut-être, de faire évoluer les modèles de financement de ces activités. Le financement à l’acte, telle qu’il se pratique, par exemple dans l’aide à domicile, pose une injonction à la productivité déconnectée de l’objectif global. « Nous parlons de l’humain, de comment nous accompagnons nos semblables », explique Uvaldo Polvoreda, directeur du Pôle Handicap de l’Apahj du Tarn (écouter notre reportage à Castres). Lui-même prône de revenir dans la confiance dans le professionnel. « A force de vouloir qu’il n’arrive rien de grave, que l’on soit « couvert », nous avons normalisé les procédures jusqu’à aseptiser les pratiques. » Revenir au financement des missions, plutôt que de l’activité serait une ouverture pour redonner la main au professionnel qui, en gagnant de l’autonomie, retrouverait aussi du sens dans son quotidien.
Redonner la main aux pros
Cela permettrait par ailleurs, de redonner des marges organisationnelles aux associations que l’on désigne trop systématiquement de « gestionnaires services ». L’étude du Pôle d’expertise SQVCT d’Harmonie Mutuelle ESS identifie d’ailleurs la QVT comme le levier le plus aisé à actionner afin que chaque structure améliore l’attractivité de ses postes. Viennent ensuite le cadre de vie sur le territoire, puis l’image globale des métiers (écouter notre podcast expert). Au rang des axes d’action listés par l’étude : un management plus participatif, l’organisation du temps de travail, l’aménagement d’espaces plus attrayants, le renforcement de la qualité et la fiabilité des équipements et enfin, l’optimisation des parcours professionnels.
Notre série de podcasts alimente le réservoir d’actions concrètes que chaque organisation pourrait s’approprier. Cette capacité à agir est d’autant plus importante que les situations de sous-effectifs accentuent les contraintes pour réaliser au mieux son travail ce qui renforcent la spirale de la désaffection des professionnels.
Réamorcer la pompe
La formation est devenue, aussi, un axe stratégique. Le Cnaemo constate qu’il est de plus en plus difficile de trouver des jeunes professionnels diplômés (éducateurs spécialisés) et que les associations se résignent à embaucher des animateurs éducateurs afin de les former en interne. Pour Céline Mons le système d’orientation Parcoursup dégrade fortement l’accès aux formations d’éducateur, par exemple, pour y envoyer des étudiants peu motivés. Pour preuve, une part croissante de ces étudiants abandonnent en cours de route leur cursus. Beaucoup d’associations misent sur l’alternance, quand c’est possible, mais aussi sur le recours à des services civiques (il existe un service civique senior par exemple), afin d’attirer de nouveaux profils qui iront, ensuite se former.
Le recrutement est aussi à soigner. Pauline Bourgeois met en avant les efforts de l’UNA pour nouer des partenariats opérationnels afin de « faire connaître la réalité des métiers ». L’idée générale est d’aller au-devant des candidats potentiels que ce soit par des campagnes nationales (partenariat en cours avec France Travail) ou par la démultiplication des actions localement (présence dans les salons, jobdating…). Des structures passent le pas en récompensant d’une prime les salariés qui cooptent de nouvelles recrues. Et après le recrutement, une intégration réussie est la première étape si on veut fidéliser. L’étude d’Harmonie Mutuelle ESS identifie de nombreuses pratiques pour mieux accompagner le nouvel embauché dans sa prise de poste (Retrouvez l'étude et les 3 brochures qui en ont été tirées par le pôle SQVCT Harmonie Mutuelle ESS).
Un CDD plutôt qu’un CDI
Dans l’ESS, il n’y a pas de grande démission, au sens où on ne quitte pas un bullshit job (un travail inintéressant pour le salarié et sans impact). Ces métiers attirent car ils sont porteurs de sens, mais ils déçoivent aussi du fait des conditions de réalisation et atténuent le niveau d’engagement. D’ailleurs, si certains quittent le métier, d’autres se protègent en refusant les CDI. C’est un phénomène naissant mais souligné par toutes les organisations d’employeurs. Des professionnels se « protègent » en préférant le CDD ou l’intérim qui autorisent des respirations, tout en apportant une rémunération plus intéressante. C’est un paradoxe dans un contexte où le renforcement du collectif de travail est le meilleur garant d’une activité plus saine. Mais ces professionnels y voient un moyen de tenir. Et pendant ce temps, les associations et fondations sont contraintes de recourir à ces formes de contrat courts, plus couteux, pour répondre à l’urgence du besoin. Cela alimente la complexité de la tâche des équipes en place qui doivent composer avec une part d’effectif volatile.
Mais aujourd’hui, l’offre étant supérieure à la demande, ce sont les candidats qui sont en situation de choisir. Et la jeune génération n’est pas prête à tout sacrifier pour le métier qu’elle souhaite exercer. Ce qui est, aussi, un changement de culture à mener dans cette économie sociale et solidaire.