Santé mentale des salariés : que doit faire concrètement l'employeur ?

4 minute(s) de lecture
Mis à jour le


La santé mentale au travail n’est plus un enjeu secondaire, même au sein des plus petites structures. Les récentes décisions de la Cour de cassation montrent combien le respect de l’intégrité mentale des salariés engage pleinement la responsabilité des employeurs avec une exigence désormais claire : l’employeur doit pouvoir démontrer qu’il a mis en œuvre tous les moyens nécessaires pour protéger ses salariés des atteintes à leur santé mentale.

Mais cette obligation ne se décrète pas : elle s’évalue à l’aune des actions concrètes menées sur le terrain, des politiques RH adoptées, des signaux pris en compte ou négligés, et de la réactivité de l’entreprise face à des comportements déviants.

Découvrez le panorama jurisprudentiel 2024-2025 : l'obligation de sécurité mentale à l'épreuve du terrain.

À travers cinq décisions récentes, illustratives d’enjeux très variés, ce panorama jurisprudentiel vous propose de comprendre, en pratique, comment une entreprise peut et doit protéger la santé mentale de ses collaborateurs.

Mettre en oeuvre des actions concrètes de prévention

  • Lorsque l’on demande à l’employeur de montrer qu’il a mis en œuvre tous les moyens nécessaires pour protéger la santé mentale de ses salariés, cela peut sembler abstrait. La décision de la Cour de cassation du 9 avril 2025 (Cass. soc. 9 avril 2025, n°23-22.121) est intéressante en ce qu’elle vient illustrer quelles actions peuvent s’avérer concrètement suffisantes pour les magistrats. 

    Dans cette affaire, une salariée invoquait un harcèlement moral remontant à plusieurs années. Elle estimait que l’employeur avait failli à son obligation de sécurité, en ne réagissant pas assez tôt aux alertes qu’elle aurait formulées. 

    Mais les juges n’ont pas suivi son raisonnement : ils ont constaté que l’employeur avait réagi immédiatement par la mise en œuvre de mesures concrètes dès lors qu’il avait été informé de la situation : entretiens individuels, suivi RH régulier, mise à disposition d’un psychologue, et enquête interne.

    Ils jugent ainsi que l’entreprise n’a pas manqué à son obligation de sécurité, dans la mesure où elle avait pris des mesures proportionnées, traçables et sérieuses. 

    Ce que les TPE/PME peuvent retenir dans un pareil cas : il est inutile de mettre en place une cellule psychologique, ce qui pourrait sembler tout à fait disproportionné compte tenu des moyens de l’entreprise. Mais il est tout à fait possible et juridiquement pertinent de :

    • Proposer un point hebdomadaire avec le dirigeant ou de “son bras droit”, notamment si cette personne endosse régulièrement la casquette de RH

    • Contacter le médecin du travail pour organiser un échange ou un suivi,

    • Réaliser un entretien individuel formalisé à la reprise d’un arrêt pour souffrance psychique,

    • Conserver une trace écrite des échanges et décisions prises pour être en capacité de démontrer qu’il a géré de manière tout à fait sérieuse le sujet.

    En définitive, pour démontrer que le chef d’entreprise a rempli ses obligations, il lui incombe de démontrer qu’il a réagi de manière appropriée dès l’identification d’un risque.

Concevoir une organisation de travail respectueuse : l'affaire France Télécom, ou l'avènement du harcèlement institutionnel

  • Contrairement à l’image classique du harcèlement moral, reposant sur des agissements individuels et répétés d’un salarié envers un autre, la Cour de cassation a récemment consacré la notion de harcèlement moral institutionnel, sans auteur direct, ni relation interpersonnelle. Si ce concept semble davantage concerner les grandes organisations, il reste intéressant d’analyser comment cela pourrait concerner de plus petites structures.

    Dans un arrêt majeur du 21 janvier 2025 (Cass. crim. 21 janvier 2025, n° 22-87.145), la chambre criminelle de la Cour de cassation confirme la condamnation pénale de plusieurs anciens dirigeants de France Télécom pour avoir, de manière délibérée ou par négligence grave, mis en œuvre une politique de réduction des effectifs susceptible de porter atteinte à la santé mentale de leurs salariés.

    Les faits remontent aux années 2006–2010, au moment où l’entreprise visait le départ de plus de 20 000 agents, dont une majorité de fonctionnaires. Incapable de procéder à des licenciements classiques, la direction a instauré un climat de pression généralisée : mutations imposées, missions dévalorisantes, objectifs inatteignables, isolement organisé... Le management a sciemment dégradé les conditions de travail pour inciter les salariés au départ.

    Sans lien direct entre auteurs et victimes, la Cour reconnaît pour la première fois de manière aussi explicite qu’une politique d’entreprise peut, en elle-même, constituer une stratégie de harcèlement moral, si elle est mise en œuvre en connaissance de cause et qu’elle produit une atteinte grave à la santé mentale des salariés.

    La portée de cette décision est importante : les difficultés économiques (que rencontrent alors France Télécom) ne peuvent justifier la mise en œuvre d’une politique d’entreprise dégradant les conditions de travail. Il convient, dès lors, de veiller à la dimension psychologique d’une conduite du changement.

    Ce que les chefs d’entreprises de plus petites structures doivent retenir : les situations “risquées” ne concernent pas uniquement les licenciements économiques. Un chef d’entreprise qui met en place, sans l’anticiper, une organisation déséquilibrée (surcharge, reporting permanent, objectifs irréalistes, absence de dialogue) pourrait exposer son entreprise à un contentieux de harcèlement moral institutionnel.

    Aussi, sans aller jusqu’à la mise en place d’un audit, il peut être essentiel d’associer les services de médecine du travail ou les représentants du personnel lorsque des changements majeurs qui ont lieu au sein de l’entreprise, et de s’interroger sur les effets collatéraux possibles : isolement, démotivation, perte de sens…

Savoir réagir aux signaux faibles même en l'absence de harcèlement moral

  • Une autre affaire, rendue le 8 janvier 2025 (Cass. soc. 8 janvier 2025, n°23-19.996), montre que l’employeur ne peut se retrancher derrière le fait que le salarié n’a pas expressément qualifié sa situation de harcèlement pour rester inactif.

    Dans ce litige, un salarié avait, à plusieurs reprises, alerté sa hiérarchie sur son mal-être, évoquant un sentiment de rejet, des reproches injustifiés, une pression quotidienne anxiogène. L’employeur avait choisi de ne pas réagir à ces courriels… Pire, il avait fini par licencier le salarié pour faute.

    Contestant cette décision, le salarié avait alors porté l’affaire devant les tribunaux aux fins d’obtenir la nullité de son licenciement et des dommages et intérêts pour manquement de son employeur à son obligation de sécurité.

    Et son argument a convaincu les juges de cassation : même si le salarié n'avait pas utilisé les mots de "harcèlement moral" pour qualifier sa situation, les faits décrits étaient suffisamment graves pour imposer à l’entreprise de se mobiliser.

    La prévention des risques ne dépend donc pas du vocabulaire employé par le salarié pour décrire ses difficultés relationnelles. Dès lors qu’un mal-être est exprimé, qu’un comportement est qualifié d’agressif, ou qu’un collaborateur dit se sentir mis à l’écart ou en détresse, l’entreprise doit prendre le temps d’analyser la situation pour comprendre la gravité des faits afin de réagir de manière appropriée.

    Il ne s’agit pas forcément d’ouvrir une enquête formelle, mais, a minima de :

    • Solliciter une rencontre ou une médiation avec les personnes concernées

    • Impliquer un tiers si le chef d’entreprise a des difficultés dans la gestion directe du sujet (service de santé au travail, conseiller externe),

    • S’assurer que la situation ne dégénère pas par la mise en place d’entretien de suivi périodique

    A contrario, prendre à la légère la situation ou y mettre fin par une décision de licenciement fait courir un risque important à l’entreprise : celui d’une condamnation au paiement de dommages et intérêts conséquents.

Sanctionner un comportement déviant, même s'ils ont été tolérés par le passé

  • Pour permettre à l’employeur d’assurer efficacement la protection de la santé mentale de ses salariés, il doit pouvoir sanctionner les collaborateurs fautifs. Mais la question se pose de savoir s’il peut le faire pour des faits qu’il a eu l’habitude de tolérer jusqu’alors. L’arrêt du 12 juin 2024 (Cass. soc. 12 juin 2024, n°23-14.292) nous apporte un éclairage intéressant sur le sujet.

    Dans cette affaire, un salarié avait tenu des propos sexuellement explicites et insultants à l’encontre de plusieurs collègues féminines. Cette situation n’était visiblement pas nouvelle. Cependant, devant la répétition de ces propos, l’entreprise avait finalement pris la décision d’agir en licenciant l’auteur des faits.

    Ce dernier avait alors contesté cette décision arguant du fait que son comportement (qui n’était pas nouveau) n’avait jamais posé de difficulté par le passé.

    Ces arguments n’ont toutefois pas convaincu les juges de la Cour de cassation qui ont validé le licenciement. Ils ont estimé que l’objectif poursuivi (faire cesser les agissements sexistes et protéger la santé mentale des salariées concernées) justifiait pleinement une telle mesure, même si des agissements identiques avaient été tolérés par le passé.

    Cette décision rappelle aux entreprises qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire. Même si le chef d’entreprise a laissé s’instaurer une culture sexiste, il dispose des moyens de la faire cesser en sanctionnant, voire en licenciant les individus qui ne voudraient pas faire évoluer leurs comportements. Dès lors qu’une attitude sexiste, insultante ou dégradante est identifiée, l’entreprise doit y mettre un terme, même si elle a été négligente par le passé.

    Pour les petites structures, cela suppose une vigilance particulière :

    • Ne pas banaliser les blagues douteuses,

    • Mettre en place une politique claire de tolérance zéro (même informelle),

    • Identifier des personnes de confiance pour recueillir la parole,

    • Former les managers (s’ils existent) à la reconnaissance des signaux faibles.

    La tolérance implicite de certains comportements ne doit pas devenir un piège juridique. Il n’est jamais trop tard pour prendre position… et protéger ses équipes.

Gérer les débordements de la vie privée dans la sphère professionnelle

  • Enfin, la décision du 26 mars 2025 (Cass soc. 26 mars 2025, n°23-17.544) illustre une situation souvent redoutée : lorsqu’un conflit né dans la sphère privée vient impacter l’équilibre du collectif de travail.

    Dans cette affaire, un cadre dirigeant avait entretenu une relation sentimentale avec une collègue. Après leur rupture, il avait multiplié les tentatives de contact, parfois intrusives, sur des canaux professionnels. Malgré les refus répétés de la salariée, il continuait d’avoir un comportement insistant, ce qui affectait de manière négative la santé de la salariée. L’employeur avait alors décidé de licencier le salarié pour faute grave.

    La Cour de cassation a validé cette décision, en rappelant qu’un fait de la vie personnelle peut justifier une sanction s’il constitue un manquement aux obligations découlant du contrat de travail, et notamment à l’obligation de ne pas porter atteinte à la sécurité de ses collègues.

    Ce que cela implique pour les entreprises : on ne peut pas toujours refuser de traiter un problème entre deux salariés sous prétexte que celle-ci est née dans leur sphère privée. Si cette dernière déborde dans la sphère professionnelle (prise à partie d’autres collaborateurs, utilisations des moyens de communication de l’entreprise…), et que cela entraîne des répercussions sur la santé mentale de ces derniers, le chef d’entreprise a alors la possibilité d’agir et de sanctionner.

    En définitive, un cadre de travail sain suppose une capacité à réguler ces situations sensibles avec professionnalisme, même lorsqu’elles touchent à l’intime.

Conclusion : anticiper, agir, protéger

  • Ces décisions, dans leur diversité, montrent bien que la santé mentale au travail n’est plus un concept abstrait. Pour protéger leurs salariés, mais aussi leur entreprise, les dirigeants doivent aujourd’hui :

    • Penser l’organisation du travail en intégrant le facteur humain,

    • Réagir rapidement dès qu’un malaise est exprimé,

    • Sanctionner les comportements qui altèrent l’équilibre du collectif.

    La santé mentale devient ainsi une composante à part entière de la gestion du personnel.

    Mais dans cette attention portée aux autres, le dirigeant reste souvent en retrait. Stress chronique, surcharge décisionnelle, solitude du commandement : les risques psychosociaux ne s’arrêtent pas aux portes du bureau du chef d’entreprise.

    Parce qu’on ne peut veiller durablement sur la santé de ses équipes sans préserver la sienne, Harmonie Mutuelle propose un accompagnement spécifique aux entrepreneurs, pour leur permettre, eux aussi, de prendre soin de leur santé mentale.

Ces sujets peuvent également vous intéresser

  • Se relever après un échec : Harmonie Mutuelle s’engage pour les entrepreneurs

    45 % des dirigeants déclarent se sentir isolés et 75 % pas assez entourés, révèle une enquête* réalisée auprès de 2 400 dirigeants de PME. Soucieuse de cette problématique, Harmonie Mutuelle s'engage auprès des Rebondisseurs Français, une association œuvrant pour positiver l'échec de l'entrepreneur.

  • Faire face à la détresse des entrepreneurs

    Harmonie Mutuelle protège les entrepreneurs à chaque étape de leur vie, professionnelle ou personnelle. Parce que nous savons que la santé du dirigeant, comme la santé financière, joue un rôle clé pour son entreprise, Harmonie Mutuelle s’engage auprès du réseau APESA afin de soutenir les chefs d'entreprise.