Quels sont les risques psychosociaux liés à l'utilisation de l'intelligence artificielle en entreprise ?
Stéphanie MESSAL : On peut d’abord parler de dissonance cognitive ou encore d’attentes contradictoires. D’un côté, l’intelligence artificielle est censée assister l’employé. Mais d’un autre côté, cette IA peut être perçue comme une véritable menace pour le salarié, avec la peur d’être remplacé. L'employé risque donc de se mettre en compétition avec l’IA, ce qui va générer une pression accrue sur sa propre performance. Il va s’infliger des exigences de résultats de plus en plus élevées et à cause de cela, il va développer une surcharge cognitive du type : « il faut que je fasse toujours mieux, que je me mette perpétuellement à niveau pour acquérir de nouvelles compétences. ».
Car l’IA, ce n'est pas juste cliquer sur un simple bouton : il faut beaucoup s’entrainer ! Un peu comme avec un Tamagotchi qu’il faut nourrir et entraîner. Cela prend donc du temps qui se superpose au temps de travail. Et tout cela finit par générer une vraie fatigue mentale.
Cela veut dire que l'IA ne fait pas gagner du temps ?
Au début, non ! Par la suite, oui, mais au démarrage, il faut bien se saisir de cet outil qui n’est pas du click and play.
Alors comment apprivoiser l'IA ?
L’idée est de travailler en co-conception entre les personnes qui conçoivent l’IA et les utilisateurs, afin de pouvoir répondre au mieux à leurs besoins. Mais comme pour tout nouvel outil dans l’entreprise, ce qu’est l’IA, il faut prévoir le temps d’adaptation et d’acceptation avec un passage un peu fatidique « soit ça passe, soit ça casse ». En effet, soit on laisse le temps aux personnes de pouvoir se saisir de l'objet, soit on met trop de pression et les utilisateurs finissent par rejeter l'objet.
Quel est le rôle des managers pour que leurs équipes appréhendent correctement l'IA ?
Restons sur l’idée de co-conception ; les managers doivent regarder comment leurs employés travaillent. C'est très important parce que dans la vie professionnelle, il existe une grande différence entre le travail prescrit, celui que donne l'entreprise, et le travail réel, celui fait par les salariés sur le terrain.
Quand les managers veulent installer l’IA, ils ont tendance à rester sur le travail prescrit : « Je l’impose et on va voir si ça marche ». Alors qu’ils devraient se focaliser sur la réalité du travail des salariés. La mise en place de l’IA peut donc être l'occasion pour les managers de reprendre contact avec leur équipe et de voir véritablement ce qui se fait sur le terrain, sur le plan professionnel.
Comment les managers peuvent-ils former leurs équipes à l’IA ?
Il vaut mieux partir sur la base du volontariat avec des personnes qui vont se sentir plus à l'aise pour tester, utiliser et voir comment fonctionne cet outil. Une fois que ces personnes auront les compétences nécessaires pour bien utiliser l’IA, elles vont pouvoir transmettre directement leurs connaissances auprès de leurs collègues, de façon presque naturelle.
Quels conseils donneriez-vous pour bien intégrer l'IA dans les entreprises ?
Le risque, c'est de déléguer toute sa responsabilité à l’IA sachant que l’IA pourra toujours répondre à n’importe quelle question. Il est donc très important de conserver sa pleine autonomie : autonomie de penser, autonomie de créer.
Quels sont les bénéfices que l'on peut tirer de l'IA en tant que salarié ?
Les bénéfices vont se situer essentiellement sur des tâches à faible valeur ajoutée, ce qui va libérer du temps pour des tâches à haute valeur ajoutée comme la créativité. En fait, l’IA, ce ne sont que des tokens, soit un assemblage d’informations pour donner la réponse la plus crédible possible. Celui qui donne du sens, celui qui crée, celui qui innove derrière tout cela reste l’humain. Ce qu’il faut toujours le rappeler ! C'est pourquoi il n’est pas question de déléguer toute sa confiance dans cet outil : l’IA ne comprend pas la réponse donnée, c’est toujours l’humain qui vient mettre du sens dans la réponse.