Qu’est-ce qu’une addiction ?
Hervé Kercret : La définition qui me parle le plus est celle du Dr Pierre Fouquet : « l’addiction, c’est la perte de la liberté de s’abstenir ». Au départ, il y a une recherche d’effet d’appartenance, de soulagement, de transgression. Puis, avec le temps, le cerveau s’habitue : on augmente la fréquence ou les quantités pour retrouver la même sensation. La dépendance s’installe peu à peu, jusqu’à ce qu’il y ait perte de contrôle. Il faut du temps pour construire un cerveau, mais aussi du temps pour devenir addict.
Pourquoi le télétravail peut-il favoriser ces dépendances ?
On retrouve dans le télétravail les mêmes facteurs de risque : isolement, pression, stress. Chez soi, la « solution de soulagement » est à portée de main : le bar de la maison, le frigo, la console de jeux ou le téléphone. Et les petites phrases permissives ne manquent pas : « Je le mérite bien », « Ce n’est qu’une fois », « J’arrête quand je veux ». Petit à petit, elles entretiennent la répétition du comportement et peuvent mener à une dépendance.
Quelles vulnérabilités particulières observer ?
Certaines personnes sont plus exposées : troubles psychiques, troubles du neurodéveloppement, traumatismes… Mais l’environnement joue aussi un rôle : la proximité des produits, le stress, les tensions interpersonnelles ou encore l’imitation des comportements de son entourage. Il faut garder à l’esprit qu’une addiction n’est pas d’abord un problème : c’est une solution. Une solution trouvée pour apaiser un mal-être. Sauf qu’avec le temps, cette solution devient moins efficace et alimente la culpabilité et la honte.
Quels sont les signaux faibles côté entreprise, surtout à distance ?
Les premiers signes apparaissent souvent à la phase de dépendance : une caméra qui reste éteinte à chaque visioconférence, des retards répétés, des changements d’humeur soudains, une implication en baisse. Ce sont des signaux faibles, mais importants. Un collaborateur qui ne va pas bien ne peut pas être pleinement engagé dans ses missions. C’est pourquoi il est essentiel de rester attentif, sans jugement, et d’ouvrir la porte au dialogue.
Comment agir et accompagner des télétravailleurs vulnérables ?
La première étape, c’est d’en parler. Ouvrir la parole sur les sujets de santé mentale et d’addiction permet déjà de lever le tabou. Reconnaître qu’il s’agit d’une maladie, et non d’un manque de volonté, change tout. Ensuite, il faut orienter vers les bons relais : la médecine du travail, le médecin traitant, ou encore des ressources fiables comme le portail Addict’AIDE, qui propose informations et autotests.
Qu’est-ce qu’un télétravail équilibré ?
Un télétravail équilibré est un télétravail encadré : un cadre clair qui permet à l’entreprise de fonctionner et au salarié de s’épanouir. Cela passe par des règles explicites sur la connexion et la déconnexion, mais aussi par des repères collectifs. La prévention fonctionne quand le cadre est défini, partagé et compris de tous.
Quel conseil donneriez-vous à une personne qui s’interroge sur une habitude ou une consommation devenue trop fréquente ?
En parler, encore une fois, à un professionnel de santé, à la médecine du travail, ou à quelqu’un de confiance. Et s’interroger sur le pourquoi : « si je me sens mieux après une consommation, c’est peut-être que je ne vais pas bien sans ». C’est souvent le premier pas vers la prise de conscience, et vers la reconstruction.
